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L’ENTREPRENEURIAT AFRICAIN EST ABSOLUMENT INDISPENSABLE POUR LA CROISSANCE AFRICAINE.

Jean Michel Severino, ancien Directeur general de L'AFD, Agence française de développement

 Michel SEVERINO est un grand économiste avec de très hautes expériences dans l’univers des entreprises. Il est né en Afrique en Côte d’Ivoire. Ancien vice-président de la Banque mondiale et ancien directeur générale de l’Agence française de développement, il livre aujourd’hui ses analyses sur l’Afrique, sur le développement économique, l’emploi des jeunes, les crises, les mutations et la transition démographique en Afrique. Il est auteur de plusieurs ouvrages. Dans son dernier ouvrage le « TEMPS DE L’AFRIQUE », il explique cette Afrique passionnante et complexe ainsi que les enjeux de la mondialisation et la restructuration économique de l’Afrique dans un monde globalisé et géopolitisé. Avec Hichem BEN YAICHE, il passe en peigne fin l’ensemble des sujets qui permettent de comprendre les enjeux du développement de l’Afrique.

Michel SEVERINO bonjour. Comment aujourd’hui jugez-vous l’évolution de l’Afrique ? Quelle est la séquence en termes de développement politique et social que l’on vit aujourd’hui ?

L’ajustement structurel est terminé. On rentre dans une période de transition démographique. La natalité commence à baisser. On va voir ce qu’on appelle le dividende démographique arriver. C’est-à-dire l’amélioration du ratio actif sur l’inactif. Il n’y a plus de dette. Elle est annulée. Nous allons connaitre dans un monde beaucoup plus ouvert avec des taux d’intérêt bas, une grande période de phase de croissance. C’est arrivée. Le continent africain a connu entre 4 à 5 % de taux de croissance depuis le début du siècle. Mais on a commencé à connaitre des problèmes et de ralentissement de cette tendance. A partir des années 2015, il y a eu une série de grands évènements de conjoncture qui pèse énormément notamment avec le COVID 19. Il y a eu également la crise russo-ukrainienne, l’élévation des taux d’intérêt qui pèse sur les conditions de financement du continent africain. Mais aussi la transition démographique qui se fait moins rapidement que l’on pensait et de manière plus inégale. Et finalement le continent continue à épargner trop peu pour satisfaire les immenses et légitimes besoins de la population en termes d’éducation, de santé et d’infrastructures. Néanmoins le moment que nous sommes entrains de passer n’est que passager. Nous devrions avoir une conjoncture plus favorable avec des taux d’intérêts mondiaux qui vont recommencer à baisser et ça va aider le continent africain. Il y a des restrictions de dette qui vont aider le continent à améliorer sa croissance. Ce fameux dividende démographique va se concrétiser progressivement et il va permettre d’avoir un peu moins d’inactif par rapport aux actifs. Les inactifs ce n’est pas péjoratifs. Ce sont des enfants notamment qui ne contribuent pas à la production nationale. Nous allons normalement retrouver un contexte plus favorable à la croissance africaine.

Mais le contexte actuel est très volatile. Comment aujourd’hui assurer une forme de stabilité pour pouvoir financer l’Afrique alors que l’argent devient rare et le FMI reconnait cette rareté dans un de ses rapports. Comment aujourd’hui monter en croissance et en puissance pour permettre le développement de l’Afrique car les défis sont majeurs ?

On ne peut pas éviter d’essayer d’avoir des politiques nationales économiques les mieux adaptées au contexte actuel. Dans les 15 dernières années, ça n’a pas été que désastreux. Le résultat de la croissance économique du continent est le produit de l’amélioration de la qualité globale de la politique économique comparativement aux années 70 et 80. Mais on est dans un contexte où les ressources sont de plus en plus rares, le financement extérieur du continent africain est également plus complexe. Ça va être moins facile de se financer le continent africain. Cela implique un meilleur usage des ressources publiques, à la qualité de gouvernance des Etats.

Avec l’expérience des investisseurs et partenaires, vous avez accompagner plus de 250 entreprises et donner des outils de développement plus efficaces. Comment aujourd’hui généraliser l’expérience dont l’Afrique a véritablement besoin. L’entreprise est aujourd’hui le point faible de l’évolution de l’Afrique.

Effectivement nous sommes partis de zéro, nous sommes près de 200 collègues quasiment tous africain repartis sur 12 sites africain. Ça augmente de plus en plus à l’ordre de 300 entreprises financées par IEP. Depuis le stade où elle n’existe pas encore, uniquement dans le cerveau de l’entrepreneur, jusqu’à des PME un peu plus établis avec des gens un peu plus d’ancienneté et de stabilité. Si au fond nous avons réussi à faire quelque chose, c’est aider à faire prendre conscience de l’importance de l’appui d’entrepreneuriat africain. Un entrepreneuriat absolument indispensable pour la croissance africaine. La plupart des entreprises africaine de 2050 ne sont pas encore né. Elles sont encore dans le cerveau des entrepreneurs. Le tissu économique africain est largement constitué. Il y a donc un enjeu massif à faire en sorte que les entreprises sortent plus rapidement du cerveau de leur entrepreneur. Une fois sortie, elle meurt moins. Parce qu’il y a un taux de mortalité plus élevé au niveau des startup et des PME. Il faut donc diminuer de taux de mortalité. Ensuite accélérer la croissance des entreprises en particulier en leur donnant davantage d’accès, de compétences et de capacité et de financement avec une sorte de plafond verre que rencontrent la plupart des entrepreneurs africains quand il s’agit de récolter l’argent dans un contexte où les part domestiques ne sont pas élevé. Il faut investir rapidement. C’est un agenda de mieux en mieux compris. Nous sommes à un stade où il y a eu énormément d’expériences et de pilotes. Beaucoup de ces pilotes marchent. On est capable de montrer que l’on peut accélérer cette croissance entrepreneuriale africaine avec des instruments très concrets comme l’accélération, l’incubation, le capital-risque etc. Mais il faut aujourd’hui massifier sur la base des solutions qui existent avec des effets démontrés et aller à la puissance 10. C’est-à-dire mette énormément d’argent public et privé pour permettre cette accélération.

L’Afrique, c’est 54 Etats. Avec cette diversité, peut-on parler de l’Afrique de façon générique ? S’il faut aujourd’hui définir des trajectoires en termes d’efficacité et de réussite, comment dessinez-vous cette carte ?

Pour dessiner la carte de l’Afrique, je commence d’abord à sortir les deux grandes économies du continent : l’Afrique du Sud et le Nigeria. Chacune de ces économies est confrontée à des problèmes très spécifiques. Elles sont tellement importantes en termes de volume de PIB qu’elles finissent masquer tout le reste du continent. Dans le reste du continent, on a plusieurs catégories de pays qui se dessinent. On a des pays relativement diversifiés qui se reposent essentiellement sur leurs ressources productives internes comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Kenya, l’Ouganda. Ce sont des pays qui ont d’excellentes trajectoires économiques. On peut mettre le Ghana dedans qui vient de connaitre une mauvaise passe par voie économique. Mais il va ressortir. Ensuite nous avons des économies minières et pétrolières, prisonnières de leurs modèles économiques. Elles suivent à tendance des prix de pétrole ou des matières premières. Elles ont très peu de capacité à se diversifier. On met l’Angola dans cette catégorie. Et on a un groupe d’économies de société en crises politiques et sociales majeures qui rencontrent d’énorme difficultés pour se développer. On peut citer le Soudan et les pays en guerre civile. C’est une fraction qui compte dans l’analyse du PIB africain. Quand on enlève ces pays et régions en crises, on rehausse significativement le taux de croissance des autres pays.

Mais aujourd’hui force est de reconnaitre que guerres, crises et conflits pèsent lourdement sur le développement de l’Afrique. Comment cela va-t-il se réduire alors que les rivalités géopolitiques internationales s’avivent ?

Il y a 10 ans on n’était pas capable de prédire ce qu’on voit aujourd’hui. C’est la même chose qui s’appliquera les années futures. Ne préjugeons de rien. Mais c’est vrai que cette conflictualité, le terrorisme, le djihadisme font du mal au continent africain. Ce sont des questions qui mobilisent beaucoup de dépenses de sécurité de la part des Etats concernés. Des dépenses qui vont à l’armée ne vont à l’éducation, a la sante et aux infrastructures. Donc oui, ça pèse !

On voit l’Afrique aujourd’hui à travers des exemples de pays. Elle est handicap de rupture. C’est le cas du Sénégal qui a faillit tomber dans l’abime mais qui s’est relevé d’un coup avec un sursaut de conscience démocratique, et de l’autre des régimes militaires qui se sont installés pour marquer cette rupture avec les régimes civiles. Comment voyez-vous ce paradoxe ou cette évolution de l’Afrique ?

Toutes ces évolutions en commun, c’est le désir du changement et de rupture de la jeunesse. Il y a trop de pays dans lesquels malgré les performances économiques qui sont finalement assez satisfaisantes, les jeunes ne touchent pas en particulier les bénéfices de ces performances et de ces croissances. C’est dû en parti au problèmes démographiques un eu particulier qui rend la réponse des gouvernements aux demandes de la société très difficile. Cette société jeune veut du changement. Elle le soutient quelque soient les formes du changement. Des changements par les coups d’Etat et des évolutions militaires avec des dérives inéluctables autocratique et parfois par les voix démocratiques. Il faut saluer ici ce qui s’est passe au Sénégal. Le pays vient de donner une très grande leçon de démocratie. La démocratie est gagnante. Les choses bougent. C’est à la nouvelle équipe dirigeante de démontrer qu’elle est capable de répondre à la demande de la société. En tout il y a une formidable leçon de gouvernance démocratique qui a été donné par le Sénégal a tout le continent et de la planète de manière générale.

On fait la politique de sa géographie. L’Afrique a des relations avec le monde. Elle s’est internationalisée, globalisée et mondialisée. Cette Afrique dans le monde et le monde en Afrique, quel regard portez-vous notamment dans l’articulation Europe-Afrique qui semble ne pas réussir le pari de créer un nouveau partenariat ? Alors que l’Europe a 30% d’échange avec l’Afrique. Qu’est-ce qui explique cette paresse intellectuelle pour changer le schéma ?

Au fond personne n’est arrivé à internationaliser ni sur le continent africain ni en Europe. D’autres acteurs comme les Chinois ont mieux compris. Ce que nous allons quasiment inexorablement vers une situation en fin de siècle de l’ordre de 40% de la planète sur le continent africain, nous aurons quelque part entre 3 milliards et demi et 4 milliards d’africain dans un monde qui va en rester 10 milliards. Nous aurons bien avant en fin de siècle, un PIB du continent africain qui sera supérieur au PIB de l’Union Européenne. Nous allons vers un continent qui va compenser vide, pauvre, marginale et qui va devenir par la force de sa transformation de ses ressources, de sa démographie et de son économie, peuplée l’urbain central d’importance planétaire. Ni les africains ni les Européens ne sont encore conscients. Il est vrai que ça se passe progressivement et ça va se faire petit a petit. Du côté européen il faut arriver de pénétrer cette réalité et voir qu’au cours des 70 années à venir nous allons progressivement devenir voisins du continent le plus important de la planète.

Est-ce que l’Europe tire véritablement profit. Nous avons l’impression qu’il y a une inertie, un manque de vison et de dynamisme… pour pouvoir se servir de cette opportunité.

Il y a beaucoup de barrières qui empêche l’Europe de prendre conscience de ce sujet et d’en faire quelque chose dans cette politique. Il y a la passé coloniale, le poids de l’imaginaire colonial et des relations coloniale. Il y a le sujet migratoire qui est une réalité mais qui finit par être la seule fenêtre à travers laquelle les Européens regardent le continent africain, et il y a les problèmes de sécurité etc. nous avons des sujets qui obscurcissent cette réalité et ce partenariat. Mais l’union européenne normalement devrait être le premier bénéficiaire planétaire de cette évolution. L’Europe est le premier client et le premier fournisseur du continent africain. L’accroissement de la taille du PIB africain va avoir des répercussions positives extrêmement importantes pour le continent européen. Supposons même que nous perdions la moitié de la part de marché de l’Europe, ça restera au cours de 50 et 100 années un formidable cadeau économique pour l’Europe.

Votre précieuse expérience à travers plusieurs institutions internationales importantes et votre regard ou cette vue de l’intérieur vous permet d’avoir cette singularité qui vous caractérise. Votre avis est important sur la relation France-Afrique. N’est-ce pas il y a quelque chose qui s’est cassé ?

Les rapports de société à société ne sont pas tout à fait les rapports de gouvernements à gouvernements. Il y a eu un mauvais moment diplomatique entre la France et une partie du continent africain…  Dans ce débat qui tourne au vinaigre, ça concerne un petit nombre de pays. Aujourd’hui les relations de la France avec le Kenya, la Tanzanie, le Nigeria et même le Ghana sont excellentes. L’essentiel de la relation de la France avec le continent africain est relativement bon, à part de quelques pays quand on parle de gouvernements ou de sociétés. Dans l’Afrique francophone on rencontre un certain nombre de difficultés, mais il faut accepter le fait que les sociétés africaines sont devenues de plus en plus matures et il y a des legs de la période post coloniale qu’elles veulent abandonner. Les relations doivent évoluées vers un autre stade de maturité. Ce qui ne veut pas dire qu’elles seront moins bonnes, mais elles seront différentes. Elles feront place à la reconnaissance d’une maturité, d’une identité et d’une souveraineté plus grande. Il va falloir gérer cette évolution naturelle normale et les amertumes qui n’auront pas lieu d’être.

De quelle manière rebâtir les relation France-Afrique même s’il n’y aura pas uniquement l’Afrique francophone dans cette trajectoire ?

Il y a des pas qui doivent être faits des deux côtés. Il faut que la France accepte que les pays sahéliens suivent leur propre trajectoire de souveraineté. Maintenant le Niger ne souhaite pas avoir de troupes militaires français et américains sur leurs sols. Les revendications sociales sont satisfaites.  Du côté des pays sahéliens aussi, on a dans trois pays une dictature militaire qui est mise en place. Et tout le monde est content. On applaudit. Il y a certains qui souhaitent que ces dictatures demeurent et perdurent. Les africains pensent aujourd’hui qu’avoir des dictatures militaires, c’est super bien. C’est la voie du développement. Il faut que les choses se normalisent. Certains pensent que les régimes militaires sont adorés et les dictatures militaires sont désirées en Afrique. Ça fait partit de la souveraineté des maliens, des burkinabés et des nigériens des régimes répressifs. Mais il faudra que ces pays mènent des politiques et des diplomaties raisonnables et profitables dans l’intérêt des peuples. Vouloir par exemple sortir de la CEDEAO, de l’UEMOA et détruire l’intégration régionale c’est absurde.

Vous qui connaissez les indices de développement et les indices économiques de l’Afrique, comment se mettre au rendez-vous de la révolution digitale et de l’intelligence artificielle ? Est-ce que ces éléments peuvent servir l’Afrique et la croissance africaine ?

Il y a deux choses qui vont se passer et qui vont orienter le continent africain pour le meilleur dans les 50 prochaines années. La première c’est la construction d’un gigantesque marché intérieur que les africains sont en train de constituer à cause de la croissance démographique et l’intensification de l’urbanisation. Et la deuxième chose c’est grâce à la transition démographique, le ratio actif sur l’inactif est entrain de s’améliorer constamment. On va le voir progressivement au cours des décennies à venir. L’épargne va augmenter, l’investissement va augmenter, les actifs vont avoir moins de charges sur leurs épaules, on va investir davantage dans la sante et l’éducation. C’est ce moment de démographie qui va être le moteur principal de la croissance économique, l’améliorations des conditions de vie. Il faudra que les politiques publiques soient les meilleurs possibles pour que les gains les plus élevés soient retirés de cette évolution favorable.

Auteur de plusieurs livres, pensez-vous condenser ce retour d’expériences dans un livres ?

Oui ! j’espère bien pouvoir contribuer aux débats autour de la vision du futur africain prochainement.

Je vous remercie.

Transcription : MAMADOU BAH

Entretien : HICHEM BEN YAICHE

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